mardi 28 juin 2011

" l'entrée de ma maison idéale... "

« Mais il n’y a de perfection qu’en ce qui échappe à la mesure humaine : l’entrée de ma maison idéale, je l’ai autrefois empruntée à la mer. J’y accédais par un chemin, bien réel, qui coupait un pré de mer ras et salé, chemin foulé, entretenu par les pieds de l’homme et du mouton, bordé de lyciets, de troènes, de chèvrefeuilles, de tamaris amaigris par le vent breton. L’air d’été, en Bretagne, est bleu le matin, et emprunte son odeur aux roses blanches sauvages, qui fleurissent sans tige, ouvertes sur l’herbe courte, comme la rose des tapis persans.
      
      
Le long du sentier réel tout m’était capture et butin, de la fleur à la mûre. Mon profitable songe ne commençait qu’à une certaine excavation de rocher, en bordure immédiate de la mer. Chaque flux l’emplissait, la peuplait ; elle restait pleine pendant la basse mer. 
   
La pureté de l’eau, sa couleur bleue et verte, le vert-bleu féerique des algues portaient à l’extrême la transparence ombreuse, la tromperie illimitée de la cavité. Dès que je projetais mon ombre sur son miroir, un vol de crevettes jouait sur son fond rose et vert, gagnait la protection d’une des parois, la plus accidentée, la plus chevelue de végétation. En juillet, le soleil de midi poignardait presque verticalement l’eau immobile, et je m'immergeais à mi-corps sur les paliers des algues à travers zostères et fucus, fougères et mousses violâtres… 
     
Un sillage de poisson minuscule, deux doigts noirs et effilés de petite pieuvre tâtonnante, un essor de crevettes, la palpitation d’une houppe consciente, rose comme l’aurore, berçaient sans l’obscurcir l’eau illuminée. Que de vie… De très petits trigles bleu et or, épines au front et aux ouïes, se posaient d’algue en algue comme des colibris. Une crevette, à la suprême ramille d’un fucus, figurait le rossignol isolé de cet éden…
        
Le fond de mon puits s’entrebaîllait en grotte d’à peine un pied de hauteur. Sous la voûte qui brillait sourdement de tous les verts et de tous les bleus, un hôte rêvait, qui n’était pas toujours le même. J’y ai vu un crabe militairement bleu et rouge ; une pieuvre qui, dès que mon regard l’atteignait, se résorbait, cessait d’être présente ; un congre, toutes dents visibles, un gros trigle au front déprimé… Quelle que fût la bête, son alcôve la couvait étroitement, limitait, d’une lèvre protectrice, l’ombre et la lumière, et je faisais un de ces vœux qu’on n’avoue à personne : “ Que je vive dans un pareil gîte ! Que j’en puisse sortir comme s’il m’enfantait ! Que j’y rentre comme si je retournais à un temps d’avant ma naissance !… ” »
      
Trois... Six... Neuf...
    
photo Claire DeWeggis
        

lundi 27 juin 2011

Musidora

Années 1910, 1914, 1917... Colette conquiert, en même temps que son indépendance, ses premiers galons d'écrivain. Elle a finalement divorcé de Willy, non sans vivre comme un déchirement ce qui fut, de la part de son mentor, une répudiation. Elle a quarante ans, est connue pour les Claudine et les Dialogues de bêtes. Ce n'est encore qu'une mince célébrité, fragile. Elle gagne sa vie comme actrice, mime, danseuse. Journaliste, aussi.
        
Colette dans " La Chair "
   
C'est la guerre. Dans le Paris de " l'arrière ", des peintres inventent le cubisme, des écrivains écrivent, des cinéastes s'emploient à faire vivre le septième art naissant et encore muet. La vamp de l'époque, en France et en Italie, est Musidora, de son nom de naissance, Jeanne Roques. Son visage aux grands yeux charbonneux, sa silhouette moulée de noir font partie de la mythologie, comme outre Atlantique le carré et les perles de Louise Brooks. Elle est la fille de Jacques, compositeur et théoricien du socialisme, et de Marie Clémence, peintre, et grande combattante de la cause féministe.
    
Cette jeune femme sensible s'essaie à la réalisation dès 1916, en adaptant pour l'écran des romans de Colette. Elle consacrera plus tard sa vie à l'écriture et à la mise en scène, avant de collaborer avec Henri Langlois à la Cinémathèque, à partir de 1944. Elle s'éteindra en 1957.
   
Musidora 
     
    
La rencontre entre les deux femmes ne fut pas seulement professionnelle. Peu connue, leur liaison révèle la jalousie, l'instinct de possession de Colette. Un soir à l'Opéra Garnier, elle rencontre Musi accompagnée d'une autre jeune femme, à moins que ce ne soit un jeune homme. La prenant à part, lui serrant durement le poignet : " Je t'interdis de sortir avec ça, tu m'entends ? Je te l'interdis ! " 
       
Chacune vivra sa vie et ses amours. Elles resteront amies.      
      

dimanche 26 juin 2011

" Le dessin musical et la phrase... "

« Le dessin musical et la phrase naissent du même couple évasif et immortel : la note, le rythme. Ecrire, au lieu de composer, c’est connaître la même recherche, mais avec une transe moins illuminée, et une récompense plus petite. Car le mot est rebattu, et l’arabesque de musique éternellement vierge... » 
      
Mes apprentissages