Le charme, le délice de ce pays fait de collines et de vallées si étroites que quelques-unes sont des ravins, c'est les bois. Des prés verts les trouent par places, de petites cultures aussi, pas grand'chose, les bois superbes dévorant tout. (…) Les grands bois qui ont seize et vingt ans, des arbres comme des colonnes, des sentiers étroits où il fait presque nuit à midi, où la voix et les pas sonnent d'une façon inquiétante. Dieu, que je les aime ! Je m'y sens tellement seule, les yeux perdus loin entre les arbres, dans le jour vert et mystérieux, délicieusement tranquille et un peu anxieuse, à cause de la solitude et de l'obscurité vague… »
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Ce sont les premières phrases de l'œuvre de Colette, le début de Claudine à l'école. Livre de commande dont la ligne générale fut orientée et exploitée par Willy, le premier mari, grand découvreur de talents et génial vendeur. Texte à deux mains, à deux visages, on le juge plutôt cucul aujourd'hui. Interrogée à la fin de sa carrière, Colette éludait le sujet, qui semblait prodigieusement l'agacer, d'un définitif " C'est très démodé. " Comme toujours, l'affaire est plus complexe. Il y a la spoliation ressentie par l'auteur, quand Willy vendit les droits de cette série dont le succès fut immense. Car les Claudine étaient vraiment les filles de Colette. Dès ces premiers paragraphes que je recopie aujourd'hui, on trouve déjà toute la sensibilité de Colette, et sa manière. Des évocations puissantes, saisissantes, presque hallucinogènes. Quelque chose aussi de très précis, de maniaque dans l'écriture, encore loin d'avoir atteint sa splendide fluidité. Les points-virgules hérissent ces paragraphes comme autant d'épines sur des buissons d'aubépines, comme les angles et les défenses de la jeunesse, de l'adolescence. Mais ce perfectionnisme, qui ne fera que s'accentuer avec les années, est une des clés de la puissance évocatrice.
illustration : aquarelle de Dignimont
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