jeudi 29 décembre 2011

Le travail de Stéphanie sur les visages m'époustoufle

    
     
Au début, il y eut sur les murs le visage d'une chanteuse américaine, la plus grande, Nina Simone… Place des Vosges, place de la Boule… Marcel Proust, Lénine, Napoléon… Des mots mystérieux, Serial loveuse, la gueule de Belmondo tout en couleurs…
    
    
   
     
pochoirs signés Stelr
      
photo Izis

jeudi 22 décembre 2011

Chut ! Faisons doucement, ne la réveillons pas…

     
Dans mon sommeil, je marche. Sur le gravier fin d'un grand jardin parisien, j'avance, je progresse. Je marche, et j'éprouve avec satisfaction la souplesse du genou, la fermeté de la cuisse, le silence de la hanche… C'est surtout lui, ce silence. Les deux têtes fémorales pivotent insensiblement dans les logements du bassin… Merveille !
     
J'avance… Je bats rythmiquement l'allée des Champs-Elysées du bout de mes pieds nus, qu'un vernis carmin rend juste assez agressifs. Oh, l'air caressant le visage ! Les feuillages des marronniers défilent rapidement au-dessus de ma tête. Souci, ma chienne bouledogue, marche devant moi, de plus en plus vite et tire ma marche en avant. Mais où allons-nous d'un si bon pas ? Je ne sais. Vais-je rendre un article ? Ai-je une course urgente à faire ? Un rendez-vous amoureux ? Si j'ai mis cet ensemble, et choisi ce chapeau plutôt qu'un autre, c'est que… c'est que…
    
Zut ! Merde ! Une épine gêne mon pas, sous le renflement qui précède les orteils, juste au milieu. Celle-là, c'est à Saint-Aygulf qu'elle m'a pénétrée, entre la mer et les étangs, pointe extrême d'une ronce dans le sable dissimulée. Sa douleur aiguë, ancienne, que lui prend de me revisiter ?
    
Et toi, qui es-tu ? Tu me photographies. Je vois mal ton visage derrière l'appareil. Tu me photographies marchant aux Champs-Elysées, en sandales et toilette de lin, assez grosse je dois dire. C'est toi, Bertrand, qui joues au photographe ? Tu m'aimais ronde, n'est-ce pas, fils ? Mon poids n'était pas un handicap, pas encore, pas comme avec ce mal…
     
Oh, mais ça fait plus mal encore ! Dans la hanche maintenant, une aiguille dans la hanche ! Vos piqûres sont fort douloureuses, Docteur, et ces aiguilles à infiltration, bien épaisses et bien longues… Mais puisque nous avons arrêté les infiltrations il y a plusieurs année déjà, cette douleur aussi n'est qu'un rappel, un souvenir, alors…
    
Je rêve…
    
Une photographie ancienne se détache de mon cerveau pendant que je reviens à la réalité. Je ne marche pas, je gis. Chez moi, dans mon lit. Point besoin d'épine ou d'aiguille pour provoquer la douleur : violente, fidèle, mon arthrite suffit à l'entretenir…
     
     

Tout est bleu ce matin
© Frédéric Le Roux

lundi 19 décembre 2011

Catherine Deneuve est maintenant Bette Davis... ou Colette


Le temps lui a acquis un physique extraordinaire, un peu inattendu : le visage passé par la chirurgie, retombé, le regard désabusé, les seins puissants, abondants, la sexualité vivante... Deneuve pourrait jouer aujourd'hui une Colette bien proche de l'idée que je m'en fais.
     
photo Gareth Cattermole

samedi 17 décembre 2011

Mère et fille

« Il y a souvent plus d’angoisse à attendre un plaisir qu’à subir une peine. Si un enfant pouvait raconter, pendant qu’il la traverse, sa véritable enfance, son récit ne serait peut-être que drames intimes et déceptions. Mais il n’écrit qu’en son âge adulte. Cependant il croit garder intacts les souvenirs de son enfance. Je me méfie même des miens. Nous devenons imaginatifs sur le tard, en même temps qu’optimistes, pour déformer en les dépeignant ces violents chagrins, ces mélancolies, cette jalousie brûlante – toutes passions dont l’amour, après, ne fait que remâcher la saveur. Il manque, à l’authenticité de ces sortes de Mémoires, les rayures d’ombre et de lumière, les sursauts de douleur emportée et de folle allégresse, les heures interminables et les années galopantes, bref le rythme perdu.
       
Vers décembre les enfants changeaient d’humeur, parlaient bas entre eux. Parfois ils sautaient sur place comme des chèvres, parce qu’ils pensaient à ce que Noël leur apporterait… Ou bien ils devenaient songeurs, hantés de doute, en pensant à ce que Noël ne leur apporterait pas. Petite, je pensais surtout à la nuit unique dans l’année, au trouble et à l’insomnie qui sonnait les heures. Il est difficile à un enfant d’escompter avec calme l’approche d’une félicité, même si elle se limite à un repas familial, à une veillée, à un livre neuf et des bonbons venus une fois l’an du chef-lieu. “ Je me demande, disait ma mère, pourquoi cette petite a mauvaise mine chaque fois qu’elle devrait être contente. ”
       
       
Que m’étaient les dons ? Je n’acceptais de Noël qu’un univers neuf, caduc en vingt-quatre heures, prodige issu de moi seule et que je ne maintenais pas sans effort. Ne me fallait-il pas partout attacher des reflets, susciter des étincelles, organiser le fabuleux, fouler un sol, respirer un air, goûter des saveurs qui fussent exclusivement le sol, l’air, les saveurs de Noël ? C’est à moi, c’est de mon propre fonds que je tirais l’exaltation. Un petit corps, un esprit puéril s’en trouvaient, avant le soir, fourbus, et appelés par le repos : “ Demain est un jour ordinaire. Maman quitte ce soir sa robe de faille, le plastron de jais palpitant de lumières comme un petit lustre… Quel bonheur que le bonheur soit fini… ”
       
Un prodige, même soutenu et brandi par le puissant vouloir enfantin, s’éteint à l’heure dite. Il était fatal qu’un matin de Noël me jetterait pieds nus, à bout de patience et d’insomnie, contre ma fenêtre encore bleue. Je voulais voir, avant tous, les premières féeries, une chatte en robe de bal, ma mère en chignon à boucles et gantée de blanc, les hauts sapins enguirlandés de cannetille, des lucioles dans l’air, que sais-je…
       
J’entendis la lourde porte de la terrasse, et le son d’une paire de sabots qui battaient leurs deux notes de xylophone, fa, sol, fa, sol… La cuisinière, en tablier de chanvre, s’en allait vider dans la cour les cendres du fourneau. Elle bailla, regarda le ciel encombré de nues. Ma mère la suivit, portant le corbillon d’avoine à nos poules. Un fichu de laine sur ses oreilles, son châle en tricot noué derrière sa taille pour laisser à ses mains leur liberté, elle avait son soucieux, son mobile visage de tous les jours. Elle était ma mère des matins froids, ma mère empressée à soigner bêtes et gens, et sous sa jupe usagée son jupon de flanelle rouge dépassait un peu. Au bord de la terrasse, les dahlias gelés pendaient en haillons. Adieu, lucioles, et vous, récompenses harassantes de Noël, liséré de prisme bordant un jour entre les jours…
   
Un enfant n’est jamais tout à fait sa propre dupe. Ruiner un songe, le premier choc passé, plaît à son instinct qui est moins de construire que de dévaster. Je me recouchai sagement. J’attendis que vînt à moi ma part authentique et inaliénable de prodige : une femme de petite taille, ronde et vive, portant dans sa robe de laine l’odeur du feu de bois, de la haie de chrysanthèmes et du pain chaud… sur sa joue la piquante fraîcheur de l’hiver… dans sa main la fleur d’ellébore éclose en décembre : j’attendis l’entrée de Sido. »
    
       
Belles saisons

mercredi 14 décembre 2011

Eau-forte de Dunoyer de Segonzac

   
Peintre, aquarelliste, exceptionnel graveur, André Dunoyer de Segonzac était l'ami de Colette, qu'il visitait à Saint-Tropez où ils étaient voisins. En 1930, les eaux-fortes qu'il réalise pour La treille muscate reflètent une période solaire, d'accomplissement, et de retour sur soi de l'écrivain. On y trouve peut-être ses plus beaux portraits, où l'on ne sait si le visage est noir de soleil, ou happé par l'ombre, milieu où se situent naturellement les voyants…

lundi 12 décembre 2011

Pauline

– Pauline ?
– Madame, il y a Jean Genet à la porte, qui demande si vous êtes visitable ?
– Oh, pas aujourd’hui, pas aujourd’hui… Dis-lui que je suis déjà visitée. Entre nous, quel emmerdeur, celui-là ! Tu penses qu’il va finir par me lâcher ?
– Je vais m’y employer, si vous me permettez.
– Je te permets tout !
      
   Pauline Vérine et Colette
     
Jolie Pauline, douce comme ton nom et comme lui un peu ronde, lisse, blonde… Ta vigueur qui supplée à la mienne quand il faut se déplacer, ta simplicité quand il faut, non sans précautions, habiller, déshabiller mon corps…
       
Qui dois-je remercier pour t’avoir mise sur ma route, un matin de la première guerre ? J’avais quarante ans, et toi… treize ? Un tel compagnonnage et une telle fidélité, je ne peux pas en imaginer d’autre exemple. Au moins auras-tu eu, pour récompense, une vie heureuse près de moi ? Je l’espère, je le crois, à voir depuis tant d’années ton sourire journalier étoiler ta face. C’est à toi seule que je dois ma gratitude, Pauline, pour m’avoir choisie…
        
Pauline dans sa trentaine
     
Tout est bleu ce matin
© Frédéric Le Roux