mercredi 11 avril 2012

PRINTEMPS POURRI. " C'est encore bien moche, aujourd'hui ! "

   
Qui, pour exprimer le printemps, hormis Colette ? Sue Hubbel peut-être, la " dame aux abeilles " d'Une année à la campagne. Thoreau, Buffon, les naturalistes ? Rousseau, certainement… Les romantiques ? Voici le meilleur texte que j'aie lu sur ce sujet ambigu, la primavera, the spring…
    
" Je sors.
– Par ce temps ! Je te plains.
– Tu es bien ? Tu n'attends personne ?
– Personne. "
    
C'est une vérité relative. Je ne peux pourtant pas avouer à mon meilleur ami que j'attends le printemps. Qu'attendrais-je, sinon le printemps ?
     
Le sentiment d'attente ne s'ajuste qu'au seul printemps. Avant lui, après lui nous escomptons la moisson, nous supputons la vendange, nous espérons le dégel. On n'attend pas l'été, il s'impose ; on redoute l'hiver. Pour le seul printemps nous devenons pareils à l'oiseau sous l'auvent de tuile, pareils au cerf lorsqu'une certaine nuit il respire, dans la forêt d'hiver, l'inopiné brouillard que tiédit l'approche du temps nouveau. Une profonde crédulité annuelle s'empare du monde, libère trop tôt la voix des oiseaux, le vol de l'abeille. Quelques heures, et nous retombons à la commune misère d'endurer l'hiver et d'attendre le printemps…
     
" On gèle ici ! Pauline !
– Bien sûr, Madame. C'est régulier, on n'est pas de sitôt au printemps. "
     

… qui n'arrive jamais selon notre attente. Il arrive – disions-nous enfants – en voiture, c'est-à-dire qu'il roule et s'irrue sur un char de tonnerre, fouaillé par de grands zigzags de foudre. Une autre année, avant l'aube, il pose partout des vitres, sur l'abreuvoir des poules, sur le seau plein, jusque dans les empreintes des pieds du bétail, au bord de la mare. Dès que le soleil les touche elles sautent en éclats de glace mince et tintante, et la gelée, au moment que nous voulions lui confier notre nom du bout du doigt, s'évanouit comme l'haleine sur un miroir.
    
Ou bien, comme le jour de mon dernier mariage, le renouveau efface un matin tout le bon travail d'avril déjà bien avancé, emplit le ciel d'une bourre grise qui se dénoue en neige comme un édredon crevé. Il ne faisait pas froid, d'ailleurs, ce matin-là ; quelle moelleuse neige !
       


Une autre fois le renouveau fait songer à une rose immergée. Il brille sous l'eau, tout averses gaies, mousses crues en quelques heures. D'un ongle vert, au bout d'une branche, s'égoutte sans fin une goutte, encore une goutte et toujours une goutte, qui alimente le chant des cascatelles souterraines. L'embryon est aqueux, l'herbe jute, l'écorce fend, l'argile sirupeuse trahit le pied. Mais une sourde lueur s'attache à chaque pli des eaux débordées, en un moment l'iris se dégaine, et la pluie est tiède. Au crépuscule, la rivière fume comme un feu de fanes…
      
(…)
     
L'Etoile Vesper, 1946
     

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