dimanche 15 avril 2012

PRINTEMPS RADIEUX



Une première écume verte se colle à la face des troncs qui regarde le nord-est, et dans nos cheminées le feu sue, bave et grommelle. Insidieuse, une odeur monte de la cave jusqu'au rez-de-chaussée… " Qu'est-ce qui sent comme ça ? " Ce qui sent comme ça, c'est un fût plein, que le printemps moisi dénature et qui de vin tourne en vinaigre. On accouche la barrique, trop tard, d'une " mère " énorme, sorte de poulpe horrible, violâtre et gélatineux…
    
Tout sent le sur, l'aigre, le cornichon hors d'âge, le marc de pomme, la betterave ensilée… C'est ton odeur, printemps moisi ! Mais pour peu que le soleil et le vent se ravisent, et le printemps torride violentera toutes les éclosions.




C'est le plus difficile à évoquer. Je l'empoigne par un bourgeon, un germe vermiforme, une viorne, et je tire à moi, avec précaution… Sur les champs nus règnent le silence et la chaleur. Un peuple impotent et divers se traîne, volette, retombe. Des pattes débiles tâtonnent, boitent, des ventres rampent ; partout un insecte succombe au bord de la source de vie, une larve laiteuse rend son sang blanc, la chrysalide éclate comme une cosse. Un massacre s'organise dans les ténèbres du sous-sol. Devant la créature achevée une porte allait s'ouvrir, et ne s'est pas ouverte… La fureur de mourir va-t-elle surpasser celle de naître ?
    
C'est le printemps rôti, qui accourcit l'herbe et les lances du blé. Vent d'est, pas de rosée, le rosier perd ses boutons fermés, le cerisier ses cerises ridées…




Sous peine d'être punie, ou trop récompensée, j'éloigne, j'approche de moi l'image d'un printemps, d'un lieu tellement miens encore, qu'en y posant des pas immatériels je ménage dans les joints de ses pavés un quadrillage d'herbe fine. Au-delà, tout n'est que prodigieux de couleurs et de richesses indistinctes. De silence aussi. Penché vers juin, retenu à mai aussi, la seule voix que pût parler mon printemps fleuri, celle de l'amour, se tut. J'eus ce bonheur que l'amour ne vînt pas, à l'époque, fourrer dans une féerie son sentiment de la propriété, la dureté intéressée de ses vues, son petit groin rose, et son langage secret de corps de garde.
    
L'amour n'eut donc pas sa part léonine dans mon printemps le plus fleuri. Je n'y revois, je n'y recense, parmi des coïncidences d'exaltation, de précocité, que la poignante apothéose d'une saison qui se dépensait comme si chacun de ses efforts fût le premier, ou le dernier.



L'étoile Vesper

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