dimanche 21 avril 2013

Invitation à lire : Gracq, Apolllinaire. Aimer

   
"Toutes les femmes nous trompent avec leur coiffeur, pensa-t-il en ébauchant une moue sagace – d'ailleurs à peine dans ce mauvais lieu elles quittent leurs chaussures. Faute de mieux, et encore on ne sait pas tout…", mais brusquement, pour la seconde fois depuis le matin, Irmgard sauta dans la voiture toute chaude et nue et fut de tout son long contre lui : l'image des lourds flocons sombres mordus par l'acier brillant se mit à crépiter jusque dans ses reins en étincelles douces et brûlantes. 
   
Une pente nocturne s'ouvrit, tout son sang remué se mit à charrier d'autres images plus troubles : images de bêtes sans frein qu'on terrasse pour les marquer, de bêtes dociles qu'on prend par la nuque. Pendant un long moment, il roula sans plus rien voir devant lui que la trace luisante de la route, blotti dans sa propre chaleur comme dans une maison fermée, le flanc creusé par un autre corps qui vivait tout le long du sien – et chaque point où sa peau touchait le vêtement semblait s'auréoler aussitôt de cristaux aigus. "Dans sa chaleur" songea-t-il, sans rien penser d'autre ; il sentait en travers de sa gorge s'épaissir une barre angoissante et douce.
    
Julien GRACQ, La presqu'île. 
Paris, José Corti, 1970, p. 67-68
    
                             
A la fin tu es las de ce monde ancien
    
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
    
Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule
Des troupeaux d'autobus mugissants près de toi roulent
L'angoisse de l'amour te serre le gosier
Comme si tu ne devais jamais plus être aimé

 
     
Longtemps au pied du perron de
La maison où entra la dame
Que j'avais suivie pendant deux 
Bonnes heures à Amsterdam
Mes doigts jetèrent des baisers

Mais le canal était désert
Le quai aussi et nul ne vit
Comment mes baisers retrouvèrent
Celle à qui j'ai donné ma vie
Un jour pendant plus de deux heures
     
Je la surnommai Rosemonde
Voulant pouvoir me rappeler
Sa bouche fleurie en Hollande
Puis lentement je m'en allai
Pour quêter la Rose du Monde
    
     
     
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente

Guillaume APOLLINAIRE, Alcools. 
Paris, Poésie/Gallimard, 1920 ; Zone, p. 7, 10 ; Rosemonde, p. 88 ; Le Pont Mirabeau, p. 15

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