lundi 8 août 2016

Café !


Me voici donc, mi-assise, mi-couchée, dans mon lit à tout faire et à tout vivre. Si je vous accueillais dans ma chambre, je vous y ferais pourtant bonne impression. Replète, soit. Mais mieux vaut une vieille dame ronde que décharnée, n’est-ce pas ? Très correctement habillée sur ma couche étroite, sous mes couvertures et mes fourrures, coiffée, et propre, j’ai toujours à portée de main le petit miroir, le tube de rouge à lèvres et la houppe à poudre…
     
Devant moi, sur le meuble coulissant qui enjambe le lit-divan, les reliefs de mon déjeuner voisinent avec les instruments d’écriture. L’écorce odorante d’une orange sicilienne, un stylo décapuchonné, un verre à demi plein du Beaujolais qu’élève et m’envoie Pierre Moreno. Vin loyal, est-ce pourtant toi qui m’a endormie ?
     
Sur ma gauche s’ouvre une haute porte-fenêtre. Elle me livre accès au monde, que rassemblent en leur enceinte le jardin et l’édifice du Palais-Royal. Il me suffit de tourner un peu les yeux pour être déjà dehors, et fréquemment je vole entre les passants et les arcades, aux balcons des façades, au-dessus du bassin rond et des parterres rectangulaires. Pour un être impotent comme moi, ce lieu qui est un village ne
    
 Café, Colette ?
 Café, Maurice !
 Je t’ai apporté les journaux de midi.
 Merci…
    
Oui, café, oh, café !
      
Café, qui amène dans ma chambre l’atmosphère, l’esprit du restaurant à la fin du repas, et ceux du zinc à toute heure… Mais le breuvage au goût de céréale, de fumée, ne me transporte pas ce midi aux petites brasseries de la rue de Beaujolais, non… Cette immensité verte sous mes pieds, ce velours un peu rugueux qui tapisse le flanc des montagnes, ce sont les caféiers eux-mêmes, c’est le Brésil.
     
Café, qui soutiens ma nervosité, entretiens mon songe éveillé et profitable, tu me gardes du méchant cirage de 3 heures de l’après-midi, où je plongerais trop aisément. Passe encore que je m’abandonne une minute, à la fin d’une fraîche matinée. Mais le sommeil en milieu de journée m’est devenu un piège, une plante carnivore qui m’aspire et me dissout. De cette glu je ne sortirais pas sans peine, et tous les os rompus, la peau moite, l’œil collé… Si perdue pour moi-même que… que j’aime mieux ne pas y penser.
     
Je ne peux pas demander à Pauline de rester à mon chevet toute la journée. Je voudrais encore moins le demander à Maurice. Mon meilleur ami, mon vigoureux cadet, mon troisième mari selon la loi… Un homme valide est fait pour sortir, marcher, démarcher, courir… Il m’embrasse le matin, il m’embrasse à midi, nous nous retrouvons le soir. Nous avons toujours beaucoup de choses à nous raconter, passé 8 heures du soir.  
     
À 4 heures, Jean Genet vient me rendre visite. Facile de tenir d’ici là, dans mes caféiers du Brésil ! Je m’assoupirai peut-être à l’approche du dîner, mais sur la plage alors, nue et chauffée, éblouie, à Copacabana…
     
Non, je ne veux pas lire, pas aujourd’hui. Aujourdhui, j’appartiens aux ormes du Palais-Royal dont les charmilles débiles persistent, comme moi, à survivre aux hivers successifs… Les ormes ont fait leurs premières feuilles cette nuit. Avec ma mauvaise vue, je ne fais qu’entrevoir les touches de vert tendre que le printemps a éparpillées sur le jardin. Mais en parcourant des yeux leur semis suspendu, je recrée pour moi-même la couleur verte, le sentiment, le climat du vert, couleur ambiguë de la vie…
    
    
Colette au Palais-Royal, par Izis
     
 Que se passe-t-il, Pauline ? Colette est sur la selle ?
– Oui, Monsieur.
– Mais cela va faire au moins une heure ?
– Depuis sept heures et quart, Monsieur Maurice. Comme il est huit heures et demie, cela fait…
– Cela fait trop ! Que dit-elle ?
– Elle dit que ça va. Qu’elle emmerde la planète entière, et qu’elle se fout de sa Légion d’honneur, et que la vie est une arnaque, et que les jeunes ne sont que des rats, et…
– Passez, Pauline, passez. Faut-il faire venir le docteur Lamy ?
– Non, elle répète que ça va. Quand c’est grave, vous savez bien ce qu’elle dit.
– Bref, c’est une indigestion monumentale, comme d’habitude. Rien dont il faille s’inquiéter ?
– Pas plus que d’habitude.
– Qu’est-ce qu’elle a encore mangé ?    
– Rien. À midi elle n’a n’a pas touché au rôti, et elle n’a mangé qu’une orange. Mais elle a bu du café tout l’après-midi.

– C’est nouveau, ça…

Tout est bleu ce matin
© Club des Plumes / Frédéric Le Roux, 2016

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