dimanche 24 juillet 2011

Ecrire

« Tu veux boire quelque chose ?
– Non.
– Manger ?
– Non…
– Veux-tu une cigarette ?
– Non, enfin ! Je ne veux rien !
– Mais qu’est-ce que tu as ? Depuis une heure tu tournes en silence. Depuis que nous sommes rentrées du jardin.
– J’ai que… J’ai que… rien n’est assez pur… Rien n’est assez pur ! Voilà ce que j’ai. Rien ne me contentera plus que cette odeur de gazon frais coupé tout à l’heure… que le bourdonnement de cette abeille qui t’effrayait… que le soleil vertical et déchirant, comme un poignard… À présent, tout me dégoûte. Je n’ai besoin de rien.
– Alors, écris.
      
Ce n’est pas sans maussaderie que je retourne à la longue, la lourde table en noyer où les feuillets s’éparpillent. La tâche préparatoire d’arranger ce désordre trompe un peu ma détresse d’écrivain jeune, la voile d’une gaieté superficielle. “ Mais où s’est encore nichée ma dernière page écrite ?! Tu ne l’as pas vue ? C’est la page inachevée, c’est toujours elle qui manque ! Sous le fauteuil crapaud ? Comment a-t-elle volé jusque sous le crapaud de notre chambre ? Elle franchit les murs, ma parole ! 
      
Puis il faut bien s’y mettre. Échafauder un chapitre, une scène, en peser chaque phrase, chaque mot, ce n’est pas plus compliqué que d’assembler les tréteaux, de les caler sur le terrain un peu accidenté à la lisière du parc, là où commence la mer, d’y caler les planches. Ce n’est pas plus dur que, les reins cambrés et à bout de bras, de manier les cisailles sur la tête des haies. C’est plus froid…
    
– Écoute la rumeur du jardin ce soir Tout nous parle de l'été. »
      
Tout est bleu ce matin
© Frédéric Le Roux
   
photo Claire DeWeggis
      

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