vendredi 2 mars 2012

Que tu es beau ! Que tu es jeune !

    
 – Que tu es beau ! Que tu es jeune ! Ce léger blouson de daim… que c’est chic, et sexy ! Le dernier Agatha Christie ? Tu me gâtes ! Alors, ces grèves ? Qu’est-ce que tu as vu ?
– Des chapeaux et des perles, ma Colette. Des voilettes, des aigrettes, des gants…
– Ne me raconte pas d’histoires !
– Je t’assure. Une noria de jeunes toquées habillées par Christian Dior, qui couraient derrière les soldats entre le Flore et l’Assemblée.
– Oh ! Quelle insouciance…
– Et elles criaient « Vive l’armée française ! Vive nos beaux soldats français ! »
– Oh ! Il aurait fallu que je voie ça ! Et tu penses qu’on va bientôt ravoir du pain ?
– D’ici huit jours, au plus tard. Je te le promets.
– Mais pourquoi les Français se sont-ils mis en grève au mois d’août ? Quel embarras pour les vacanciers…
– Colette… les Français. Les Français…
– Moui ! Moi aussi, je suis en grève. Je n’écris plus. 
– Tu as finalement décidé de te reposer.
– Peut-être…
– Mais alors, que fais-tu ? 
– Eh bien, je profite du travail des autres. Je lis… Je te lis, tiens, depuis quelques jours. Je suis dans tes Érotiques. 
– Me voilà bien.
– Mais oui, très bien ! Attends, que je chausse mes lunettes…
      
Branle ton sexe à pleine poigne
Jeune cycliste musculeux
Bientôt tel un cri tu t’éloignes
Recapuchonné ton gland bleu 
     
– Mmm…
– Je trouve cela très beau, Jean. Très parfait. La belle rime avec « bleu », et les consonnes liquides à chaque vers…
– Mmm… Je…
– Non, parfait, vraiment, parfait. Tu ne savais pas que j’aimais ta poésie ? Mais je connais même de toi certaines pièces par cœur. Écoute.
     
Hypothèse : des esprits courent à notre insu
 Et changent le décor et la ville et la rue.
 Qui sont ces ouvriers, ces soldats, ces milices
 Attachées à nous nuire comme on l’est à un vice ?
 Leurs manœuvres aveugles ont rongé nos vertus,
 Sans pitié, sans plaisir, et nous laissent tout nus. 
    
          
– Mais d’où ça sort, ça ?
– Je crois que ça s’appelait Le Poème du Centenaire.
– Je n’ai aucun souvenir de ce poème ! Je devais être bien jeune, pour écrire des choses si sombres !
– Oui, tu étais encore très jeune. Tu as copié cela sur une ardoise autrefois, dans ma cuisine…
– Ah, Colette… Tu me touches… Et à part lire le vieux Cocteau, à quoi passes-tu ta journée ? 
– Eh bien… D’habitude il y a la correspondance… le téléphone… mais avec cette grève, nous sommes aussi en vacances de cela ! Alors, je brode, quand je n’ai pas trop mal aux yeux. Et pour les reposer, tu vois, j’ai la télévision maintenant.
– Et tu en es contente ?
– Je l’étais, jusqu’à ce qu’elle tombe en panne. Mais j’ai déjà pu voir des choses extraordinaires sur mon petit écran. J’ai vu, tiens-toi bien, la naissance des gaous, qui sont les petits du gnou et de sa femelle, la maroufle. Cela se passe au Kenya, au mois de février. Une fois que les maroufles ont mis bas, les gaous deviennent des proies faciles pour les lionnes, bien qu’ils soient capables de courir seulement trois minutes après leur naissance. Trois minutes, te rends-tu compte ? N’est-ce pas terrible et merveilleux ?
– Je pense que tu devrais visiter le Kenya, et même toute l’Afrique. Toi qui ne redoutes pas la chaleur… On te promènerait en chaise à porteurs, tu serais révérée. Tu serais reçue comme une divinité ! Les hommes verraient en toi une grande sorcière, les femmes te craindraient, et les enfants voudraient te toucher, ils t’apporteraient des offrandes, des petits bijoux qu’ils fabriqueraient pour toi…
– Oh, sérieusement ! Jean, je vais me reposer un peu, maintenant. Cette chaleur, oui… Mais que je te reçois mal ! Demande à Pauline de te faire une orangeade. Ah, mais non, nous n’avons plus d’oranges… Demande-lui…
– Ne t’en fais pas, je saurai bien lui demander.
– Viens toujours me visiter, n’est-ce pas ?
– Bien sûr. Tu es mon amie.
– Ta vieille amie, oui… Merci, mon grand.
     
Tout est bleu ce matin
© Frédéric Le Roux
      

to my american friends

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