jeudi 27 décembre 2012

trabajar


Je travaille actuellement avec deux ordinateurs. En orthophonie, on parle d'attention divisée : c'est très important, on ne s'en rend pas compte avant d'avoir connu des difficultés d'ordre neurologique… C'est très important de pouvoir penser deux ou plusieurs choses à la fois…

L'Effrontée de Claude Miller n'est plus à présenter. Elle est peut-être à redécouvrir. Chaque fois que je la revois, depuis bientôt trente ans, j'admire plus profondément la perfection de cette histoire, de sa narration, le miracle de son casting… la beauté classique de sa photo, l'impertinence délicieuse de Brialy… Il me semble que ce film-là a dû être une source d'inspiration, peut-être inconsciente, pour certains des très bons cinéastes d'aujourd'hui…

Sur l'autre ordi, je transfère l'un après l'autre les fichiers de l'ancien, opérant un tri, laissant des choses, en récupérant d'autres… avec parfois un peu de difficulté : nombre des copies, des variantes, sous les divers logiciels de traitement de texte dont il a fallu changer plusieurs fois depuis vingt ans. C'est un peu comme un défi ! Ou bien j'y écris, j'y brouillonne les idées plus actuelles…


Tout est bleu ce matin, le roman autour duquel gravite ce site, est disponible sur simple demande à fleroux08@gmail.com. Le livre tient de la novela et de la pièce de théâtre : court, très dialogué… Il relate avec respect, émotion et humour les dernières années de la vie de Colette. 18 €, en belle édition, frais d'expédition inclus.

samedi 22 décembre 2012

Un Noël sans neige ? On avait oublié ce que c'est…

Cette année encore, nous ne sortons pas de l'hiver. Plus long, plus dur, plus hivernal que d'habitude, on n'y sentit pas durer encore l'automne, commencer déjà le printemps. Un colosse glacé, enneigé et sale écrasa le petit peuple des saisons, qui tendent au mélange, imposa à Paris son diktat cruel. Pour la première fois, je fermai ma fenêtre. Je m'inquiétai pour Pauline qui prit une longue, une sale toux et ne la quitta que peu à peu, avec des reprises, des rechutes. Pauline amoindrie, presque abattue, ce n'était pas possible ! 
  

Nous mîmes à double contribution la femme de ménage, et trouvèrent pour notre Pauline des auxiliaires inattendus. Je demandai en effet à Maurice de répondre à l'appel de l'abbé Pierre, et d'ouvrir notre porte aux malheureux sans-logis. Oh, il ne l'ouvrit pas sans grincer, et je gage qu'il opéra une rigoureuse sélection ! Mais Gérard  et Catherine s'avérèrent, pour le nombre de semaines qui séparaient Pauline de la guérison, pour celui qu'il fallut avant qu'ils ne trouvent un hébergement plus cohérent, des compagnons jeunes, actifs et, ma foi, bien drôles…
     
– Alors mame Colette, ça va-t-i' mieux votre jambe, ce matin ?
– Monsieur Gérard, vous ne le croirez pas : je ne sens pas mon mal ce matin ! Je pense même que je vais me mettre debout !
– Vingt dieux ! Mais toutefois, il ne faudrait pas que ça dure…
– Vous ne souhaitez pas me voir guérir ?
– C'est que je ne vous connais pas depuis longtemps, mais je vous ai déjà cernée. Pour un peu qu'on vous rendrait vos jambes, vous auriez vite fait de prendre la poudre d'escampette, et on ne vous reverrait pas de si tôt.
– Quelle pénétration ! Mais où serait le mal ?
– Pensez ! Ça en ferait des malheureux, dans cette maison !
– Eh bien, nous allons déjà voir si je peux marcher jusqu'au jardin…
   

Ce jour exceptionnel de mars finissant, je me vis, miraculée, capable de descendre de chez moi avec une seule canne, et le bras de Gérard au soutien du mien. Oh… Comme tout est différent, moi qui ne connais plus mon jardin que de haut, comme tout est différent au ras du sol ! C'est autrement plus agressive que l'odeur de la terre retournée vient aux narines, quand on se penche de près sur elle… Et ces lombrics, et ces cocons pleins de minuscules araignées à naître, et les délicieux cornets des toutes premières feuilles de rosier, si petits, si détaillés, si rouges… je ne connaissais plus l'existence de tout cela ! 

Je me promène entre les plate-bandes, je regarde sous les arcades les vitrines qui me sont neuves elles-aussi, car enfin, je ne savais pas que des couturiers tenaient désormais boutique au Palais-Royal, ni des chausseurs… Peut-être ne devrais-je pas borner là mon excursion, et si nous marchions jusqu'à la place du Carrousel ? Et si…

   
Tout est bleu ce matin
© Frédéric Le Roux, 2012


lundi 10 décembre 2012

Ralf König : l'esprit indispensable

Un monde, le monde…






Ralf aujourd'hui a ses expositions muséales. Il dessine un peu moins souvent le milieu des mecs gays et cuir au profit de thèmes tels que la religion et ses excès, l'écologie, les femmes, eh oui ! Mais son esprit, sa conscience, son humour, ses angoisses nous demeurent indispensables…


Moins réaliste, moins social que Ralf, le domaine délicieux, plus jeune, du belge Tom Bouden…

mardi 3 juillet 2012

L'écriture…


J'ai nourri "Je t'aime, Colette" depuis une petite année, alors que je me battais avec d'importants problèmes de santé. J'ai eu un accident vasculaire cérébral en mars 2011. J'ai eu la chance de ne pas avoir de séquelles physiques, de ne subir que le minimum de dommages au plan neurologique. Mais même le "minimum", après un AVC, c'est copieux ! 
    
Ça va nettement mieux aujourd'hui. Il y a encore du chemin, les progrès sont lents, mais ils sont continus… Merci aux gens merveilleux que sont les médecins, les infirmiers. Merci du fond du cœur à Christophe et à tous mes proches. Merci également à ce blog, à l'exercice qu'il a été pour moi, à ceux qui y ont trouvé de l'intérêt et me l'ont quelquefois chaleureusement témoigné.
       
Parmi ces pages numériques, des textes de Colette, des textes de ma main, des images, des poèmes, des couleurs… "Je t'aime, Colette" fait pendant à un roman, Tout est bleu ce matin, qui décrit et imagine les dernières années de l'écrivain et revient sur des moments-clé de sa vie. Ce roman cherche encore son éditeur… J'envisage cependant une édition limitée, personnelle, et j'invite ceux que le livre intéresserait à me contacter : fleroux08@gmail.com
     
Le roman est meilleur que le blog, qui porte les traces du handicap qui était, est encore, dans une certaine mesure, le mien. Disons, pour ne pas être trop sévère avec moi-même, que ce blog est inégal… J'espère seulement y avoir sauvegardé, y avoir fait passer quelque chose d'un amour aux origines mystérieuses, une passion orgueilleuse, humble pourtant, nécessairement : l'écriture.
     
Il est temps que je marque une pause dans ce blog. Quelqu'un en moi aspire au repos ! Merci encore, et à bientôt ?

jeudi 26 avril 2012

Les Jours. Christiane nous écrit


Rueil, le 16 février 2012

Il ne faut jamais oublier les jours heureux de notre vie. Ce sont ces moments-là qui nous font continuer notre chemin. Ils sont gravés dans notre mémoire, et de temps en temps, nous allons les retrouver et alors tout devient lumineux, cela nous remplit d'une grande joie.

Les beaux jours de notre enfance avec des parents aimants. Les premiers émois de l'amour, la rencontre avec l'être aimé, alors on se sent devenir quelqu'un d'autre. Toutes ces belles années de bonheur avec son compagnon ou alors sa compagne. La naissance de très beaux enfants, la vie vous comble pendant un temps.

Puis viennent les premiers chagrins. Les moments douloureux parfois, qu'il faut surmonter à tout prix. On ne passe pas sa vie sur un petit nuage ! Puis la vie continue et il faut se la faire belle malgré tout.

Mes enfants sont mon plus grand bonheur avec mon mari François.

Je vais bien

Christiane

lundi 16 avril 2012

Barbara



Et comme deux chevaux courant dans la prairie
Et comme deux oiseaux volant vers l'infini
Et comme deux ruisseaux cherchant le même lit
Nous irions, dans le temps, droits comme des roseaux
Quand, sous les poids des ans, nous courberions le dos
Ce serait pour mieux boire ensemble à la même eau



Deux livres.
La bio de Jean-Dominique Brierre, "Une femme qui chante", par cet excellent auteur qui a côtoyé Barbara.
Et "Il était un piano noir", les "mémoires interrompus" qu'elle a composés après son accident, à la fin de sa vie, quand elle ne pouvait plus faire son tour de chant. Texte précieux, beau, puisqu'elle était aussi une grande plume…

dimanche 15 avril 2012

PRINTEMPS RADIEUX



Une première écume verte se colle à la face des troncs qui regarde le nord-est, et dans nos cheminées le feu sue, bave et grommelle. Insidieuse, une odeur monte de la cave jusqu'au rez-de-chaussée… " Qu'est-ce qui sent comme ça ? " Ce qui sent comme ça, c'est un fût plein, que le printemps moisi dénature et qui de vin tourne en vinaigre. On accouche la barrique, trop tard, d'une " mère " énorme, sorte de poulpe horrible, violâtre et gélatineux…
    
Tout sent le sur, l'aigre, le cornichon hors d'âge, le marc de pomme, la betterave ensilée… C'est ton odeur, printemps moisi ! Mais pour peu que le soleil et le vent se ravisent, et le printemps torride violentera toutes les éclosions.




C'est le plus difficile à évoquer. Je l'empoigne par un bourgeon, un germe vermiforme, une viorne, et je tire à moi, avec précaution… Sur les champs nus règnent le silence et la chaleur. Un peuple impotent et divers se traîne, volette, retombe. Des pattes débiles tâtonnent, boitent, des ventres rampent ; partout un insecte succombe au bord de la source de vie, une larve laiteuse rend son sang blanc, la chrysalide éclate comme une cosse. Un massacre s'organise dans les ténèbres du sous-sol. Devant la créature achevée une porte allait s'ouvrir, et ne s'est pas ouverte… La fureur de mourir va-t-elle surpasser celle de naître ?
    
C'est le printemps rôti, qui accourcit l'herbe et les lances du blé. Vent d'est, pas de rosée, le rosier perd ses boutons fermés, le cerisier ses cerises ridées…




Sous peine d'être punie, ou trop récompensée, j'éloigne, j'approche de moi l'image d'un printemps, d'un lieu tellement miens encore, qu'en y posant des pas immatériels je ménage dans les joints de ses pavés un quadrillage d'herbe fine. Au-delà, tout n'est que prodigieux de couleurs et de richesses indistinctes. De silence aussi. Penché vers juin, retenu à mai aussi, la seule voix que pût parler mon printemps fleuri, celle de l'amour, se tut. J'eus ce bonheur que l'amour ne vînt pas, à l'époque, fourrer dans une féerie son sentiment de la propriété, la dureté intéressée de ses vues, son petit groin rose, et son langage secret de corps de garde.
    
L'amour n'eut donc pas sa part léonine dans mon printemps le plus fleuri. Je n'y revois, je n'y recense, parmi des coïncidences d'exaltation, de précocité, que la poignante apothéose d'une saison qui se dépensait comme si chacun de ses efforts fût le premier, ou le dernier.



L'étoile Vesper

vendredi 13 avril 2012

Les jours…

Lumière d'avril. Sur la gauche, le vieux salon de jardin qui attend la 1ere heure de température clémente. Au fond, la maison nouvelle dont la peinture des façades tarde, et devant, le poirier. Ô poirier ! Déjà condamné par les insensibles ! Il nous en coûte 600 €, mais l'élagage l'a rendu à la santé… Sa 1ere floraison depuis. Il sera très beau l'année prochaine…


Christophe a fait des balconnières de géraniums ce week-end. Pélargoniums est le vrai nom de ces splendeurs roses, mais la faute est tellement courante qu'on ne va pas chipoter. N'est-ce pas, papa ?

mercredi 11 avril 2012

PRINTEMPS POURRI. " C'est encore bien moche, aujourd'hui ! "

   
Qui, pour exprimer le printemps, hormis Colette ? Sue Hubbel peut-être, la " dame aux abeilles " d'Une année à la campagne. Thoreau, Buffon, les naturalistes ? Rousseau, certainement… Les romantiques ? Voici le meilleur texte que j'aie lu sur ce sujet ambigu, la primavera, the spring…
    
" Je sors.
– Par ce temps ! Je te plains.
– Tu es bien ? Tu n'attends personne ?
– Personne. "
    
C'est une vérité relative. Je ne peux pourtant pas avouer à mon meilleur ami que j'attends le printemps. Qu'attendrais-je, sinon le printemps ?
     
Le sentiment d'attente ne s'ajuste qu'au seul printemps. Avant lui, après lui nous escomptons la moisson, nous supputons la vendange, nous espérons le dégel. On n'attend pas l'été, il s'impose ; on redoute l'hiver. Pour le seul printemps nous devenons pareils à l'oiseau sous l'auvent de tuile, pareils au cerf lorsqu'une certaine nuit il respire, dans la forêt d'hiver, l'inopiné brouillard que tiédit l'approche du temps nouveau. Une profonde crédulité annuelle s'empare du monde, libère trop tôt la voix des oiseaux, le vol de l'abeille. Quelques heures, et nous retombons à la commune misère d'endurer l'hiver et d'attendre le printemps…
     
" On gèle ici ! Pauline !
– Bien sûr, Madame. C'est régulier, on n'est pas de sitôt au printemps. "
     

… qui n'arrive jamais selon notre attente. Il arrive – disions-nous enfants – en voiture, c'est-à-dire qu'il roule et s'irrue sur un char de tonnerre, fouaillé par de grands zigzags de foudre. Une autre année, avant l'aube, il pose partout des vitres, sur l'abreuvoir des poules, sur le seau plein, jusque dans les empreintes des pieds du bétail, au bord de la mare. Dès que le soleil les touche elles sautent en éclats de glace mince et tintante, et la gelée, au moment que nous voulions lui confier notre nom du bout du doigt, s'évanouit comme l'haleine sur un miroir.
    
Ou bien, comme le jour de mon dernier mariage, le renouveau efface un matin tout le bon travail d'avril déjà bien avancé, emplit le ciel d'une bourre grise qui se dénoue en neige comme un édredon crevé. Il ne faisait pas froid, d'ailleurs, ce matin-là ; quelle moelleuse neige !
       


Une autre fois le renouveau fait songer à une rose immergée. Il brille sous l'eau, tout averses gaies, mousses crues en quelques heures. D'un ongle vert, au bout d'une branche, s'égoutte sans fin une goutte, encore une goutte et toujours une goutte, qui alimente le chant des cascatelles souterraines. L'embryon est aqueux, l'herbe jute, l'écorce fend, l'argile sirupeuse trahit le pied. Mais une sourde lueur s'attache à chaque pli des eaux débordées, en un moment l'iris se dégaine, et la pluie est tiède. Au crépuscule, la rivière fume comme un feu de fanes…
      
(…)
     
L'Etoile Vesper, 1946
     

jeudi 8 mars 2012

HAIKU

   
Je recueille
 une cigale morte –
un peu d'eau s'en écoule
  
Kakimoto Tae, née en 1928

samedi 3 mars 2012

TRIO : chez le coiffeur en 1964

      
Corinne était une très belle femme, pas très grande, mais très bien faite, un visage superbe. Chez les commerçants et parmi les voisins on l’appelait « l’Impératrice », et Lucien, le coiffeur, allait jusqu’à lui donner ce surnom lorsqu’il s’adressait à elle. Une fois par mois, elle emmenait son petit garçon chez cet artisan installé dans une rue étroite, assez froide et humide du centre de Lannion. On installait l’enfant dans un fauteuil mécanique trop grand pour lui, que Lucien faisait basculer pour mettre la tête du petit au niveau du lavabo. Une sorte de bac en plastique recevait la nuque qu’il cassait, comme un accessoire chirurgical, un plastron en caoutchouc couvrait la poitrine en serrant le cou… On n’aime pas les éclaboussures, chez les coiffeurs ! Bref : pénible. L’eau du robinet était toujours beaucoup trop chaude, au début en tout cas, car Lucien demandait au bout d’un moment : « C’est pas trop chaud ? », et le petit disait « Si ». Après, elle était un peu trop froide.
     
Corinne imposait une coupe de cheveux atroce, pour un petit gamin qui manquait déjà d’assurance. Elle le faisait par sottise, pas par manque d’amour… La coupe au bol… Atroce. Grotesque. Quand ils ressortaient du salon de coiffure, l’enfant était inondé de honte, de malaise. 
    
Il ne pouvait pas en vouloir à sa mère qu’il adorait… « Allez, l’Impératrice, vendredi je m’occupe de votre choucroute ! » lançait Lucien à sa mère dont l’enfant quêtait la chaleur de la main. Son cou tirait devant et derrière, la tête lui tournait, dans l’odeur presque asphyxiante des teintures et des laques.
       
    
     
« Allez, fais voir ! » « Allez, t’as honte ?! »
Sans descendre de son petit vélo, Louis enlevait sa casquette.
« Oh la la ! Putain, les boouuules ! »
« C’est vraiment rasé sur les bords… »
     
Erwann touchait, du bout de ses doigts chauds, la peau sensibilisée par le passage de la tondeuse. Un début d’érection se présentait au slip de Louis. Et puis ils passaient à autre chose. Louis renfilait sa casquette. Si c’était l’été, il se baignerait comme les autres, oubliant peu à peu, jamais complètement, sa tronche de débile. Comme c’était avril, ils allaient plutôt rouler, poussant jusqu’à la pointe de Séhar animée par le trafic des sardiniers, ou celle du Dourven, déserte et belle, peuplée de hauts pins. Le vent doux leur rosissait les joues. Leurs poumons se gonflaient, leurs petits corps grandissaient. Ce n’était pas de grands bavards, mais ils s’entendaient bien.
    
– T’es encore allé traîner avec les p’tits cons de l’épicier ? T’as fait tes devoirs ?
     
Yvon dans l’allée, qui vient de garer la Citroën. Voilant ses yeux derrière la visière de sa casquette, Louis contemple avec horreur les godasses de son père, son pantalon de velours côtelé beige. Les devoirs, non, pas faits encore. Tiens, il a bien envie de faire les exos de maths maintenant. Tout plutôt que rester là, soumis à l’autorité physique de son père. Il est bon en maths, il aime bien ça. En français, comme de juste, il est nul.
     
Après le dîner, on l’envoie au lit à huit heures et demie. Comme viatique pour traverser une nuit si longue, il emporte les mots de sa mère : « Bonne nuit, mon trésor ». Il entendra aussi résonner plusieurs fois, avant que ne sonne le réveil, les mots de son père : « Sois calme, et tâche d’être meilleur demain ».
     
Dans cette grande maison très silencieuse, bâtie en hauteur sur un flanc de colline au-dessus de la petite baie de Locquémeau, Louis rallume sa lampe de chevet quelques minutes après le départ de ses parents. Parmi les objets de son enfance, les plus aimés sont peut-être les disques que lui donne sa sœur, ceux qu’elle laisse le dimanche quand elle vient déjeuner avec son tout jeune mari. Les Beatles, les Stones, Johnny Hallyday, les Whos… Louis pose le 45 tours de From me to You sur son tourne-disque, dont il règle au minimum le volume…
      
   
© Frédéric Le Roux, 2012

vendredi 2 mars 2012

Que tu es beau ! Que tu es jeune !

    
 – Que tu es beau ! Que tu es jeune ! Ce léger blouson de daim… que c’est chic, et sexy ! Le dernier Agatha Christie ? Tu me gâtes ! Alors, ces grèves ? Qu’est-ce que tu as vu ?
– Des chapeaux et des perles, ma Colette. Des voilettes, des aigrettes, des gants…
– Ne me raconte pas d’histoires !
– Je t’assure. Une noria de jeunes toquées habillées par Christian Dior, qui couraient derrière les soldats entre le Flore et l’Assemblée.
– Oh ! Quelle insouciance…
– Et elles criaient « Vive l’armée française ! Vive nos beaux soldats français ! »
– Oh ! Il aurait fallu que je voie ça ! Et tu penses qu’on va bientôt ravoir du pain ?
– D’ici huit jours, au plus tard. Je te le promets.
– Mais pourquoi les Français se sont-ils mis en grève au mois d’août ? Quel embarras pour les vacanciers…
– Colette… les Français. Les Français…
– Moui ! Moi aussi, je suis en grève. Je n’écris plus. 
– Tu as finalement décidé de te reposer.
– Peut-être…
– Mais alors, que fais-tu ? 
– Eh bien, je profite du travail des autres. Je lis… Je te lis, tiens, depuis quelques jours. Je suis dans tes Érotiques. 
– Me voilà bien.
– Mais oui, très bien ! Attends, que je chausse mes lunettes…
      
Branle ton sexe à pleine poigne
Jeune cycliste musculeux
Bientôt tel un cri tu t’éloignes
Recapuchonné ton gland bleu 
     
– Mmm…
– Je trouve cela très beau, Jean. Très parfait. La belle rime avec « bleu », et les consonnes liquides à chaque vers…
– Mmm… Je…
– Non, parfait, vraiment, parfait. Tu ne savais pas que j’aimais ta poésie ? Mais je connais même de toi certaines pièces par cœur. Écoute.
     
Hypothèse : des esprits courent à notre insu
 Et changent le décor et la ville et la rue.
 Qui sont ces ouvriers, ces soldats, ces milices
 Attachées à nous nuire comme on l’est à un vice ?
 Leurs manœuvres aveugles ont rongé nos vertus,
 Sans pitié, sans plaisir, et nous laissent tout nus. 
    
          
– Mais d’où ça sort, ça ?
– Je crois que ça s’appelait Le Poème du Centenaire.
– Je n’ai aucun souvenir de ce poème ! Je devais être bien jeune, pour écrire des choses si sombres !
– Oui, tu étais encore très jeune. Tu as copié cela sur une ardoise autrefois, dans ma cuisine…
– Ah, Colette… Tu me touches… Et à part lire le vieux Cocteau, à quoi passes-tu ta journée ? 
– Eh bien… D’habitude il y a la correspondance… le téléphone… mais avec cette grève, nous sommes aussi en vacances de cela ! Alors, je brode, quand je n’ai pas trop mal aux yeux. Et pour les reposer, tu vois, j’ai la télévision maintenant.
– Et tu en es contente ?
– Je l’étais, jusqu’à ce qu’elle tombe en panne. Mais j’ai déjà pu voir des choses extraordinaires sur mon petit écran. J’ai vu, tiens-toi bien, la naissance des gaous, qui sont les petits du gnou et de sa femelle, la maroufle. Cela se passe au Kenya, au mois de février. Une fois que les maroufles ont mis bas, les gaous deviennent des proies faciles pour les lionnes, bien qu’ils soient capables de courir seulement trois minutes après leur naissance. Trois minutes, te rends-tu compte ? N’est-ce pas terrible et merveilleux ?
– Je pense que tu devrais visiter le Kenya, et même toute l’Afrique. Toi qui ne redoutes pas la chaleur… On te promènerait en chaise à porteurs, tu serais révérée. Tu serais reçue comme une divinité ! Les hommes verraient en toi une grande sorcière, les femmes te craindraient, et les enfants voudraient te toucher, ils t’apporteraient des offrandes, des petits bijoux qu’ils fabriqueraient pour toi…
– Oh, sérieusement ! Jean, je vais me reposer un peu, maintenant. Cette chaleur, oui… Mais que je te reçois mal ! Demande à Pauline de te faire une orangeade. Ah, mais non, nous n’avons plus d’oranges… Demande-lui…
– Ne t’en fais pas, je saurai bien lui demander.
– Viens toujours me visiter, n’est-ce pas ?
– Bien sûr. Tu es mon amie.
– Ta vieille amie, oui… Merci, mon grand.
     
Tout est bleu ce matin
© Frédéric Le Roux
      

to my american friends