dimanche 5 février 2012

Jardin princier

Une pareille œuvre humaine et vernale, un emploi aussi réfléchi de la saison exubérante, je ne tente pas de les décrire. Je reçus sur mes paupières la chaleur d’un soleil mauve, parce que la transparence et l’épaisseur ensemble d’un rideau de glycine changeait la couleur du jour sans mettre obstacle à la vive lumière. Les longues grappes innombrables, sur une armature verticale et cachée, ruisselaient jusqu’au sol. Un autre effet d’onde et de pluie dépendait des saules pleureurs à grêles chevelures neuves et parallèles. Plus mobiles que les glycines, ils dévoilaient, revoilaient d’autres architectures végétales, des pans de ciel intercalaires, des pelouses bleues et violettes, un brasier de cognassiers du Japon, une île de lilas très pâles délayés sur un ciel comme eux presque incolore, un nuage de cerisiers doubles parfaits en blancheur, et des paulownias et des arbres de Judée, irréels dans le lointain comme tout ce qui est mauve…
    
     
En suivant des allées d’un sable farineux qui ne criait pas sous le pied, je remarquai qu’elles ne portaient aucune empreinte de pas. Un bâtisseur d’édens avait autrefois distribué masses et couleurs. Le surprenant était que tout lui obéît aujourd’hui. Un maître, dès longtemps défunt, persistait à régir le jardin et ses eaux vives, ici moulées en serpents dans des plis de pierre au long des sentes, là suspendues en draperies à contre-jour pour qu’au travers on entrevît un pan de paysage tremblant, une féerie secouée de sanglots…
    
Les parures d’une mode tricentenaire étaient encore debout. Une canne d’eau, cristal tors, fusait hors de la bouche d’un satyre. Le charmant séant d’une nymphe reposait au centre d’une roue d’eau. Un coquillage devenait source, un dauphin palme d’eau bifide…
    
Peut-être d’autres jardins d’Italie ont-ils autant de charme médité, d’allées où seul marche l’oiseau, de fontaines où nulle bouche ne boit. Je n’ai vu que celui-là et n’ai pu ni l’oublier, ni m’éprendre de lui comme je fais d’un vallon, d’une ferme heureuse… Il devait trop à une volonté humaine, sûre d’elle-même et disposant de la nature sans se tromper.
     
A mes côtés s’exaltait mon compagnon de visite. Ce metteur en scène exprimait combien un tel lieu lui semblait à souhait pour les ébats chorégraphiques. Il courut devant moi, gravit un perron effrité, sauta à pieds joints sur le flanc d’une déité couchée, qui, du haut d’une terrasse tiède, longue, vide, regardait Rome :
     
" Et là… Là, s’écria-t-il inspiré, le défilé du cake-walk ! "
     
Flore et Pomone, Ed. Pléiade, p. 542.
       
     
Lithographie de Vertès

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire