vendredi 17 février 2012

La vérité


Il pensa d'abord n'éprouver qu'un léger regret. Des nuits sans sommeil et des journées solitaires changèrent ce chagrin en désespoir, et bientôt sa souffrance ne lui laissa plus de repos. Ce fut un lent travail souterrain jusqu'au moment où sa détresse toucha la racine d'où jaillissent à la fois le corps et l'âme, ce " moi " qu'il s'était toujours efforcé d'étouffer et dont il prenait enfin conscience. Sa souffrance redoubla de puissance et devint intolérable. Car en ce même instant il aurait pu connaître la joie et, devant l'étendue des ruines, il mesurait quel bonheur, quelle communion il avait perdus.

Ce soir-là, Maurice alla se coucher comme d'habitude. Mais au moment où il posait la tête sur l'oreiller, un flot de larmes l'inonda. Il fut horrifié. Un homme en train de pleurer ! Fetherstonhaugh pouvait l'entendre. Il sanglota, caché sous ses draps, se roula sur son lit, couvrit son édredon de baisers, se tapa la tête contre le mur et brisa son pot de faïence. Des pas montèrent l'escalier. Il se calma aussitôt, et se tint coi lorsqu'ils s'éloignèrent…

Allumant une bougie, il contempla avec surprise son pyjama déchiré et ses membres tremblants. Il pleurait toujours sans pouvoir s'arrêter, mais le plus fort de la crise était passé. Il refit son lit et se recoucha.


Le délire n'est pas toujours fécond. Pourtant celui de Maurice fut comme le coup de tonnerre qui disperse les nuages. L'orage n'avait pas couvé pendant trois jours, ainsi qu'il l'imaginait, mais pendant six ans. Il s'était formé dans les profondeurs obscures de son être, et son entourage l'avait épaissi. Il avait éclaté, et Maurice n'en était pas mort. La splendeur du jour l'entourait. Il se tenait sur la crête des montagnes qui enténèbrent la jeunesse. Maintenant, il " voyait ".

Il avait vécu dans le mensonge. Il avait vécu de mensonges. Les mensonges sont l'aliment ordinaire de la jeunesse, et il s'en était avidement repu. Même si tout le monde s'en foutait, il vivrait désormais loyalement. Ne serait-ce que pour la beauté de la chose. Il essaierait de ne plus se raconter d'histoires. Pour commencer, il ne prétendrait plus être attiré par les femmes alors que seuls les hommes allumaient son désir. Il désirait, n'avait jamais désiré que les hommes. Maintenant qu'il avait perdu celui qui partageait son amour, il l'admettait enfin.

Après cette crise, Maurice devint un homme.


Maurice, un roman de E. M. Forster et un film d'Ivory-Merchant

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire