jeudi 9 février 2012

Trio

« C’est bien la peine de m’être fait les ongles aujourd’hui », pensa Catherine en se lavant les mains. 

Elle venait de faire le tour du jardin et avait ramassé les pétales de rose qui s’étaient accumulés à l’entrée de la maison, volant à l’intérieur quand on ouvrait la porte. Elle avait aussi arraché des pissenlits et autres chardons, et ses ongles étaient foutus.
La maison lui était revenue à la mort de son père. Oscar avait été emporté un jeudi. Elle avait tellement pleuré qu’on ne la reconnaissait plus… Sa chef lui avait demandé d’être présente le samedi, jour de grande affluence aux Galeries Lafayette. Catherine y était allée, mais le lundi, elle n’était pas retournée travailler. 
Cette maison, Oscar l’avait achetée six ans plus tôt, avec  l’idée d’y reformer, le moment venu, le foyer, la tribu, la « famille ». Mais après son divorce, aucune famille ne s’était réunie autour du père déclinant, entre ses collections de disques, ses tas de fourbi, de bois de chauffage, et la petite chienne toute neuve. Catherine et Julien s’étaient installés là, petit à petit, dans le courant du printemps.
    
         


Julien actionne la vieille clé dans la serrure, elle accroche un peu, il y a une manière de la tourner… Il entre par la cuisine, côté rue, suivi de Catherine et de Louis.


Obscurité. Pénombre. Étincelles éblouissantes venues se poser du dehors sur un compotier poussiéreux, sur la gazinière blanche, ici et là sur le carrelage mural. La fraîcheur surprend. Même s’il ne fait pas très chaud en ce début de juillet, le contraste est fort avec le jardin, la voiture. L’air confiné, immobile, les murs restés froids apaisent, favorisent le recueillement, comme dans les lieux de culte…


Plus déroutante encore que la fraîcheur est l’odeur. Elle a cent ans, et parle directement au cerveau. Y entrent sans doute, sans qu’on puisse les distinguer, le moisi des murs, des matelas, des tentures ; une tresse d’ail, de secs bouquets de blé… Le mystère de profondes armoires, d’édredons usés vêtus de satin grenat… Cette odeur raconte des joies et des peines, des vies que l’on n’a pas partagées mais qui entrent secrètement en sympathie avec la nôtre. Des rires, des caresses, des baisers, des colères assurément, qui ont résonné là… C’est un charme, qui attache, comme une reconnaissance.
     


    

– Tu ne dors pas ? 
Elle posait cette question à de larges rideaux de velours or, sur le côté desquels on voyait de la lumière. Elle s’était levée pour aller aux toilettes, ils avaient un peu bu la veille, des bières, d’habitude elle ne se réveillait pas à quatre heures du matin, même pour se recoucher aussitôt.
– Tu dors ? 
– Non, je dors pas. 
– Je peux entrer ?
– Je sais pas !

Prononcés d’une voix chantante, ces mots se prolongèrent dans un petit rire. Elle écarta un des rideaux, glissa son visage derrière l’étoffe.  

– J’ai des crises d’angoisse nocturnes, dit Louis. 

Les mains s’enfonçant à plat dans le matelas, sa veste de pyjama lui retombant sur les aisselles, découvrant son ventre, un téton charmant, Louis faisait le poirier. 
Durant cette période, il lui parlait régulièrement comme il se parlait à lui-même. Elle était sa première et sa seule confidente, il n’avait pas non plus, parmi ses « potes », d’ami auquel il aurait ouvert son cœur : la confidence qui existe dans une amitié masculine, qui est quelque chose de très entier mais que cette amitié elle-même oriente, dirige dans un sens bien déterminé : l’idée que les garçons ont de leur avenir, leur manière de l’appréhender, enthousiaste, ignorante et volontaire… 

Louis se confiait à elle, mais il ne l’écoutait pas. Parce que justement, elle n’était pas l’interlocuteur qu’il aurait fallu, le copain de son âge, plus ou moins soumis aux mêmes difficultés et aux mêmes défis…

© Frédéric Le Roux
     

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