mardi 21 février 2012

Marguerite

Ma chère créature, je maudis le métier qui te contraint en ce moment à une vie contre la nature,  la nôtre. Ce métier où l'on enfante loin de l'œil du spectateur. La gloriole, la galerie qui manquent. C'est affreux. Tâche de manger beaucoup, malgré la chaleur. Fait-il plus frais ? Et ces costumes ! Ici il fait très bon, sauf deux nuits singulières, qui m'ont étonnée et opprimée, des nuits plus chaudes que les jours, un monde terrestre et maritime figé dans la chaleur immobile comme sous les glaces. Ni le plus fin brin de mimosa, ni la feuille extrême de l'acacia n'ont donné, pendant ces nuits, signe de vie, et les feux de Ste Maxime, reflétés et étirés sur un golfe vitrifié, barraient la mer jusqu'à mon rivage. Tout était surprenant pendant ces deux nuits. Une barque pêchait au trident au bout de mon jardin, avec son grand feu de copeaux à l'avant, elle glissait à un mètre du bord, et de la terrasse elle avait l'air de se promener dans le chemin de côte, comme une âme.
     
En somme, il ne fait frais que chez moi, et chez toi dans la maison. Je travaille, mal. Je t'aime, bien. Maurice te baise les mains, nous amitons Pierrou.
     
ta
     
Colette
    
    
Moreno vers 1895, lorsque Colette la rencontre
    
Lettre de Colette à Marguerite Moreno, écrite à Saint-Tropez le 17 août 1928. A cette date, Marguerite est en tournage, d'où les remarques de Colette sur " ce métier où l'on enfante loin de l'œil du spectateur ". L'une et l'autre préféraient, de loin je crois, le théâtre…
     
Les lettres de Colette à Marguerite témoignent d'une amitié exceptionnelle, qui s'étend sur cinquante ans. Elles ont été éditées par Claude Pichois chez Flammarion.

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