jeudi 9 février 2012

Kevin

8 juin 2011

Le matin, à Raymond Poincaré, bien avant l’heure du petit déjeuner (servi un peu après huit heures, c’était tard pour moi), je descendais fumer les premières cigarettes devant le pavillon Netter. Je n’y voyais d’abord personne, seulement le jour naissant parmi les bosquets très beaux du parc, un peu au-delà de l’enceinte médicale. Puis j’aimais voir arriver le personnel. Une femme garant sa voiture. Une piétonne. Deux filles traversant ensemble l’espace. Un motard, un scootériste, d’autres voitures, un camion, les gars de la sécurité, les convois de chariots… Céline, mon orthophoniste, souvent à la bourre, chic et belle. Margot, l’ergothérapeute, en tennis plates et vêtements un peu seventies, ses vingt ans fonceurs, sa fraîcheur… Il a fait un temps exceptionnel les trois premières semaines d’avril, un temps parfait d’été doux et sans un nuage, dont la répétition quotidienne nourrissait l’optimisme et donnait à cette période de choc, de rémission du choc, un côté mythique : pour ma renaissance, m’était accordée la lumière…

D’autres fumeurs matinaux stationnaient un moment, à présent, entre les bancs, les entrées, les escaliers, les arbres. Kevin arrêtait son fauteuil roulant à deux mètres d’une des entrées, tournait le dos à Netter et aux regards. Téléphone portable dans une main, dans l’autre main, plâtrée, sa cigarette. Chaque jour passant, sans en avoir vraiment conscience, parmi tous les êtres que j’ai côtoyés, avec qui j’ai parlé au fil de sept semaines, j’ai aimé davantage ce jeune mec, encore peu éloigné de son adolescence. 

L’ai-je aimé à cause de son quant à soi ? Immobilisé par des plâtres à la jambe et au bras, il était pourtant autonome, ne se mêlait pas aux autres. Ses amis venaient le voir certains jours, sa copine s’asseyait sur ses genoux, il était très gai alors. Mais, seul, il n’était pas triste pour autant, il avait toujours un sourire pour me donner son bref « Salut, Fred », j’aimais qu’il dise toujours mon prénom. On n’échangeait à peu près rien d’autre, moi j’ai dû lui redemander le sien avant mon départ. Depuis, j’aime revoir en pensée son sourire abîmé, pourtant séduisant, les dents très remontées, peu visibles sous la lèvre. Sa dignité. Ses piercings légers et colorés. Mignon mec. 


Journal © Frédéric Le Roux

2 commentaires:

  1. Des ces semaines que j'ai traversées, je ne veux retenir que le soleil, sa chaleur qui accompgagnait nos cafés, la lumière de la renaissance.

    RépondreSupprimer
  2. Ah, le petit café servi par cette timbrée adorable de Fatiah, qui portait Patchouli de Réminiscence… Ah, oui, c'était un bon moment !

    RépondreSupprimer